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27 Novembre – RIEN QU’UN REPAS DE FËTE BIEN ORDINAIRE

 

 

Les jours suivant Halloween, l’ambiance générale a été celle du calme qui suit la tempête. Bien que conscients de la fuite du temps qui nous était imparti, nous avons adopté une routine quotidienne. Tous les matins, j’attendais Lena au coin de la rue, loin du regard perçant d’Amma, et le corbillard passait me chercher. Boo Radley nous rattrapait devant le Stop & Steal et nous escortait jusqu’au lycée. À l’exception, parfois, de Winnie Reid – l’unique membre du club de rhétorique de Jackson, ce qui rendait les joutes oratoires plutôt difficiles – ou de Robert Lester Tate – qui avait remporté le concours national d’orthographe deux années de suite –, la seule personne daignant partager notre table à la cantine était Link. Quand nous ne déjeunions pas sur les gradins du gymnase, quand nous échappions à la surveillance acharnée du proviseur Harper, nous nous terrions à la bibliothèque afin de relire les archives concernant le médaillon, tout en espérant un signe de Marian. Aucune trace de cousines Sirènes à sucettes et étreintes mortelles, pas de tempêtes de catégorie 3 inexpliquées, pas de nuages noirs menaçants dans le ciel, même pas un drôle de repas en compagnie de Macon. Bref, rien d’extraordinaire.

Sauf pour une chose. La plus importante. J’étais raide dingue d’une fille qui éprouvait les mêmes sentiments, pour moi. Était-ce jamais arrivé ? Il était presque plus facile d’admettre son statut d’Enchanteresse que son inclination envers moi.

J’avais Lena. Elle était douée de pouvoirs, elle était belle. Chaque journée était terrifiante, chaque journée était parfaite.

Jusqu’au moment où, sans crier gare, l’impensable s’est produit : Amma a invité Lena à partager notre dîner de Thanksgiving.

 

— Je ne comprends pas pourquoi tu veux venir. Ce sera une soirée plutôt barbante.

J’étais nerveux. Amma mijotait quelque chose. Lena m’a souri, je me suis détendu. Il n’existait rien de mieux que ce sourire, qui me ravissait à tout coup.

— Je ne crois pas que ce sera barbant.

— C’est que tu n’as jamais passé Thanksgiving chez moi, alors.

— Je ne l’ai passé nulle part. Les Enchanteurs ne le fêtent pas. C’est un truc de Mortels.

— Tu rigoles ? Pas de dinde ? Pas de tarte au potiron ?

— Non.

— Tu n’as pas trop mangé, aujourd’hui, hein ?

— Non.

— Alors, tu t’en sortiras.

J’avais briefé Lena pour qu’elle ne tombe pas des nues en voyant les Sœurs emballer des petits pains dans leur serviette et les glisser dans leur sac à main. Ou en assistant à un débat animé entre ma tante Caroline et Marian pour déterminer l’endroit où avait été implantée la première bibliothèque municipale des États-Unis (Charleston) ou les proportions exactes du vert « Charleston » (deux tiers de noir « yankee » et un tiers de jaune « rebelle »). Tante Caroline était conservatrice de musée à Savannah, et elle était aussi calée en architecture et en antiquités que ma mère l’avait été en munitions et stratégie militaire de la guerre de Sécession. C’était en effet à cela que Lena devait se préparer : Amma, mes grands-tantes à moitié folles, Marian et, pour faire bonne mesure, Harlon James.

J’ai omis le seul détail qu’il aurait été vraiment important qu’elle sache. Vu la tournure des choses, récemment, Thanksgiving allait sans doute impliquer que mon père débarque en pyjama. Malheureusement, c’était là une chose que je ne me sentais pas d’expliquer.

Amma prenait Thanksgiving au sérieux. Ce qui avait deux conséquences : un, mon père serait contraint de quitter son bureau (même si, techniquement, la différence serait minime, puisque la nuit serait tombée au moment du repas), et deux, il ne couperait pas au dîner en notre compagnie. Pas de céréales. Tel était le minimum exigé par Amma. Et, en l’honneur de son pèlerinage dans le monde des vivants, elle en ferait des tonnes. Dinde, purée et sauce à la viande, haricots beurre et crème de maïs, patates douces à la guimauve, jambon au miel et petits pains, tartes au potiron et au citron meringuée. Cette dernière, je le soupçonnais depuis mon escapade nocturne dans les marais, était plus destinée à oncle Abner qu’à nous autres.

Sur le porche, j’ai marqué une pause, me souvenant de ce que j’avais ressenti à Ravenwood, la première fois où je m’y étais pointé. C’était autour de Lena. Elle avait attaché ses cheveux en arrière ; j’ai effleuré une mèche folle qui s’était échappée et s’enroulait autour de son menton.

Prête ?

Mal à l’aise, elle a tiré sur sa robe noire.

Non.

Tu devrais.

— Prête ou pas…

J’ai ouvert la porte, un grand sourire aux lèvres. La maison embaumait mon enfance. Petits plats et gros boulot.

— C’est toi, Ethan Wate ? a lancé Amma depuis la cuisine.

— Oui, madame.

— Tu es avec la petite ? Amène-nous-la, qu’on jette un coup d’œil dessus.

La pièce débordait de partout. Debout devant la cuisinière, Amma était armée d’une cuiller en bois dans chaque main. Tante Prue tournicotait alentour et plongeait ses doigts dans les plats posés sur le plan de travail. Tante Charity et tante Grace jouaient au Scrabble sur la table. Ni l’une ni l’autre ne paraissait s’apercevoir qu’elles ne formaient aucun mot existant.

— Eh bien, ne reste pas planté là comme un poteau ! Qu’elle vienne ici.

Je me suis raidi. Impossible de prédire ce qu’Amma ou les Sœurs allaient sortir. D’ailleurs, je ne pigeais toujours pas les raisons de cette invitation. Lena s’est avancée.

— Je suis ravie de vous rencontrer enfin.

Amma l’a inspectée de la tête aux pieds tout en s’essuyant les mains sur son tablier.

— C’est donc toi qui occupes tant mon garçon ? Le facteur avait raison. Tu es jolie comme un cœur.

Carlton Eaton avait-il mentionné ce détail lors du trajet jusqu’au bayou ? Lena a rougi.

— Merci.

— D’après la rumeur, t’as un peu secoué le cocotier, au lycée, est intervenue Grace, tout sourires. Bravo. Y vous apprennent r’en de r’en, dans c’te bazar.

Charity a posé ses pavés l’un après l’autre sur le plateau de jeu. T.I.T.I.Y.E. Tante Grace s’est penchée et a louché sur les lettres.

— Tu triches encore, Charity Lynne ! Qu’est-ce que c’est que ce mot qu’ec’ziste pas ? Fais-y donc une phrase, pour voir !

— Ça me titiye drôlement de manger une part du quatre-quarts qu’est là-bas, a riposté l’interpellée sans se démonter.

— Ça s’écrit pas comme ça !

Au moins une qui avait de l’orthographe.

— Faut deux T, dans « tittiyer ».

Houps.

Tu n’as pas exagéré.

Je t’avais prévenue.

— Est-ce Ethan que j’entends ?

Tante Caroline est entrée dans la cuisine, les bras grands ouverts.

— Viens donc embrasser ta tante.

Sa ressemblance avec ma mère me désarçonnait toujours pendant quelques secondes. Mêmes longs cheveux châtains coiffés en arrière, mêmes yeux marron foncé. Sinon que ma mère préférait se trimballer en jean et pieds nus, là où Caroline tenait plus de la beauté du Sud, avec ses robes fleuries et ses petits gilets. Je crois que ma tante appréciait la surprise des gens lorsqu’ils apprenaient qu’elle était conservatrice du musée d’Histoire de Savannah et non quelque débutante vieillissante.

— Comment va la vie, dans le Grand Nord ?

Elle ne manquait jamais de se référer ainsi à Gatlin qui, effectivement, se trouvait au nord de Savannah.

— Ça roule. M’as-tu apporté des pralines ?

— M’est-il déjà arrivé d’oublier ?

Prenant les doigts de Lena, je l’ai attirée vers moi.

— Lena, je te présente ma tante Caroline et mes grands-tantes Prudence, Charity et Grace.

— Enchantée de faire votre connaissance à toutes.

Lena a tendu la main, mais Caroline l’a serrée contre elle. La porte d’entrée a claqué.

— Joyeux Thanksgiving à tous !

Marian a déboulé, porteuse d’un gratin et d’un gâteau.

— J’ai manqué quelque chose ?

— Les ‘cureuils, a répondu Prue en glissant son bras sur le sien. Qu’est-ce que tu sais là-dessus ?

— Bon, déguerpissez de ma cuisine, vous autres ! a lancé Amma. J’ai besoin de place pour opérer ma magie. Et attention à toi, Charity Statham ! Je t’ai vue boulotter un de mes croquants.

Interdite, Charity a cessé de mâchonner un instant. Lena a eu du mal à ne pas rire.

Je pourrais appeler Cuisine à la rescousse.

Inutile. Amma n’a pas besoin d’aide pour faire à manger. C’est une Enchanteresse à sa façon.

Nous nous sommes entassés dans le salon. Tante Caroline et tante Prue discutaient de la meilleure manière d’obtenir des kakis sur une véranda ensoleillée, et Grace et Charity se disputaient encore sur l’orthographe de « titiller », cependant que Marian arbitrait le débat. N’importe qui aurait pété un plomb. Pourtant, coincée entre les Sœurs, Lena semblait contente, heureuse, même.

C’est chouette.

Tu plaisantes ?

Était-ce là l’idée qu’elle se faisait d’un repas en famille ? Gratins, Scrabble et chamailleries de vieilles dames ? On était à des années-lumière des Journées du Clan.

Au moins, personne n’essaye de tuer qui que ce soit

Donne-leur un quart d’heure, L.

J’ai surpris Amma qui nous épiait depuis la cuisine. Mais ce n’était pas moi qui l’intéressais, c’était Lena. Pour le coup, il m’est devenu évident qu’elle complotait quelque chose.

Le dîner s’est déroulé comme d’habitude. Sauf que rien n’était comme d’habitude. Mon père était en pyjama, la chaise de ma mère était vide, et je tenais la main d’une Enchanteresse sous la table. L’espace d’une seconde, ça a été trop – à la fois triste et gai, comme si les deux émotions étaient indissociables. Je n’ai cependant pas eu le temps d’y songer. Le bénédicité à peine récité, les Sœurs ont entrepris de faucher des petits pains, Amma de servir des portions énormes de nourriture, et tante Caroline de faire la conversation.

Ce qui se passait était évident. Tant que nous nous agiterions, discuterions et nous gaverions, personne ne s’attarderait sur la place désertée. Sauf qu’aucune quantité de gâteau au monde n’y suffirait, même dans la cuisine d’Amma. J’ignore pourquoi, Caroline s’était fourré dans le crâne que je tiendrais le crachoir.

— As-tu besoin de m’emprunter des affaires pour la reconstitution, Ethan ? J’ai de remarquables vareuses au grenier.

— Ne me parle de ça, ai-je râlé.

J’avais presque oublié que j’étais censé m’habiller en soldat confédéré pour la reconstitution de la bataille de Honey Hill si je voulais obtenir une bonne note en histoire. Ce genre d’âneries se tenait tous les ans au mois de février, à Gatlin… et attirait les touristes. Lena a pris un petit pain.

— Je ne comprends pas très bien pourquoi ce spectacle est si important. Recréer une bataille qui a eu lieu il y a plus d’un siècle, c’est beaucoup de travail, non ? Alors qu’il nous suffit de lire nos manuels pour savoir ce qui s’est passé.

Houps !

Tante Prudence a hoqueté devant pareil blasphème.

— On devrait brûler ce lycée ! s’est-elle exclamée, outrée. On vous y enseigne r’en qui ressemb’ à de la vraie histoire. C’est point dans les livres qu’on apprend ce qu’a été la guerre d’Indépendance du Sud. Pour ça, faut y voir. Et vous, les mômes, ça vous fait pas de mal qu’on vous rappelle que le même pays qui s’était uni pour lutter contre ces maudits Angliches s’est déchiré pendant c’te guerre.

Interviens, Ethan ! Change de sujet.

Trop tard. On va avoir droit à l’hymne américain dans un instant.

Marian a brisé un petit pain sur lequel elle a mis du jambon.

— Mlle Statham a raison, a-t-elle renchéri. La guerre de Sécession a divisé notre nation en une lutte fratricide. C’est un épisode tragique de notre histoire. Plus d’un demi-million d’hommes sont morts, plus souvent de maladie qu’au combat, d’ailleurs.

— Ek’zact ! a opiné tante Prue.

— Allons, allons, Prudence Jane, t’énerve pas, a tenté de la calmer Grace en lui tapotant la main.

— Toi, ne me dis pas quand c’huis énervée ou pas, a riposté l’autre en la repoussant sèchement. Je m’assure juste que ces p’tiots y savent de quoi y retourne. C’huis la seule à leur enseigner que’que chose. C’te lycée devrait me payer, tiens !

J’aurais dû t’avertir de ne pas les lancer sur cette foutue guerre.

Ça…

— Écoutez, je suis désolée, s’est excusée Lena, en se trémoussant sur sa chaise. Je ne voulais pas me montrer irrespectueuse. C’est la première fois que je rencontre des dames aussi bien renseignées sur la guerre de Sécession.

Joli ! Si par « renseignées », tu veux dire « obsédées », bien sûr.

— T’inquiète don’ pas, trésor, l’a consolée tante Grace en donnant un coup de coude à Prue, c’est seulement Prudence Jane qui monte facilement sur ses grands chevaux.

Tu piges pourquoi nous mouillons toujours leur thé de whisky.

— C’est la faute à ces croquants aux ca’huètes qu’a apportés Carlton Eaton, s’est défendue l’accusée. Trop de sucre me réussit point.

Mais tu t’en gaves du matin au soir.

Mon père a toussoté et, distraitement, a joué avec la purée qui encombrait son assiette. Lena en a profité pour changer de sujet.

— Ethan m’a raconté que vous étiez écrivain, monsieur Wate. Dans quel genre d’ouvrage vous spécialisez-vous ?

Il l’a regardée sans un mot. Il ne s’était sans doute même pas rendu compte que c’était à lui qu’elle s’était adressée.

— Mitchell est sur un nouveau projet, est intervenue Amma. Un gros projet. Le plus important de sa vie, peut-être. Alors qu’il a déjà écrit des tas de livres. Rappelle-nous combien, Mitchell ?

Amma s’était exprimée comme si elle parlait à un enfant. Elle savait pertinemment le nombre de romans qu’il avait signés.

— Treize, a-t-il marmonné.

Si j’ai été découragé par l’asociabilité de mon père – j’ai contemplé ses cheveux hirsutes et ses cernes noirs en me demandant depuis quand il était dans cet état lamentable –, ça n’a pas été le cas de Lena.

— Et sur quoi porte-t-il, ce dernier livre ? a-t-elle insisté.

Pour la première fois de la soirée, mon père a semblé s’animer.

— C’est une histoire d’amour. Ça a constitué un véritable voyage. Le grand roman américain. Le Bruit et la Fureur de ma carrière, avanceraient certains, même. Je ne peux cependant évoquer l’intrigue. Pas vraiment. Pas pour l’instant. Pas quand je suis aussi près de… de…

Il a brusquement cessé de divaguer, à croire que quelqu’un avait appuyé sur l’interrupteur qui le commandait. Les yeux fixés sur la chaise vide de ma mère, il est reparti dans ses songes éveillés. Amma paraissait anxieuse. Tante Caroline a tenté de divertir l’assemblée de ce qui devenait rapidement la soirée la plus gênante de mon existence.

— D’où viens-tu, Lena ? a-t-elle demandé.

Je n’ai pas saisi la réponse. Soudain, j’étais sourd. Autour de moi, les mouvements se sont ralentis. La pièce est devenue floue, s’agrandissant et s’étrécissant tour à tour, comme quand les vagues de chaleur brouillent le paysage.

Puis…

La salle à manger s’est figée. Plus exactement, je me suis figé. Mon père aussi, les yeux plissés, la bouche arrondie pour former des sons qui n’avaient pas eu le loisir de s’échapper de ses lèvres. Il regardait encore l’assiette de purée qu’il n’avait pas entamée. Les Sœurs, Caroline et Marian ressemblaient à des statues. Même l’air était parfaitement immobile. Le balancier de l’horloge s’était arrêté à mi-course.

Ethan ? Tu vas bien ?

J’ai tenté de répondre à Lena, en vain. Lorsque Ridley m’avait emprisonné dans son étreinte mortelle, j’avais cru mourir de froid. Là, j’étais tout aussi pétrifié, mais je n’avais pas froid, et j’étais bien vivant.

— Est-ce moi ? a murmuré Lena à voix haute.

Seule Amma a été en mesure de parler.

— Toi ? Lancer un sortilège temporel ? C’est à peu près aussi probable qu’une poule couvant un alligator. Non, ma petite, ce n’est pas toi. Cela te dépasse. Les Grands ont décidé que le moment était venu que toi et moi ayons une petite conversation. De femme à femme. Personne ne nous entend.

Sauf moi. Je vous entends très bien.

Ce qui n’empêchait pas que j’étais incapable de produire le moindre son.

— Merci, tante Delilah, a lancé Amma en direction du plafond. J’apprécie ton aide.

Elle est allée jusqu’au buffet afin de couper une tranche de tarte au potiron. Elle l’a placée sur une belle assiette en porcelaine qu’elle a déposée au milieu de la table.

— Voilà, je vous donne ça, à toi et aux Grands. Comme preuve de ma gratitude. Ne l’oubliez pas.

— Que se passe-t-il ? Que leur avez-vous fait ?

— À eux ? Rien. J’ai juste acheté un peu de temps.

— Êtes-vous une Enchanteresse ?

— Non, une Voyante, c’est tout. Je vois ce qui doit être vu, ce que personne d’autre ne peut ou ne veut voir.

— Avez-vous arrêté le temps ?

Lena m’avait dit que certains des siens possédaient ce don. Seulement les très puissants.

— Je n’ai pas bougé le petit doigt. J’ai demandé un coup de main aux Grands, ce qu’a très gentiment accepté tante Delilah.

Lena semblait perdue et apeurée.

— Qui sont les Grands ?

— Mes parents de l’Autre-Monde. Il leur arrive de m’épauler. Et ce ne sont pas les seuls. Ils ont des alliés.

Amma s’est penchée par-dessus la table et a plongé son regard dans celui de Lena.

— Pourquoi ne portes-tu pas le bracelet ?

— Quoi ?

— Melchizedek te l’a bien donné, hein ? Je lui ai expliqué que tu en aurais besoin.

— Il me l’a donné, oui, mais je l’ai enlevé.

— Et pourquoi ça ?

— Nous avons deviné qu’il bloquait les visions.

— Pour bloquer, il bloquait quelque chose, en effet. Jusqu’à ce que tu cesses de le mettre.

— Et que bloquait-il ?

Amma a pris une des mains de Lena et l’a retournée, paume vers le ciel.

— Je ne voulais pas être celle qui te l’annoncerait, ma petite. Malheureusement, ni Melchizedek ni aucun membre de ta famille ne va te le dire. Or, il faut que tu saches. Et que tu te prépares.

— À quoi ?

En marmonnant, Amma a contemplé le plafond.

— Elle approche, petite. Pour s’emparer de toi. Elle représente une force non négligeable. Aussi ténébreuse que la nuit.

— Qui ? Qui vient s’emparer de moi ?

— J’aurais vraiment préféré qu’ils te l’expliquent eux-mêmes. Ce n’est pas mon rôle. Mais les Grands insistent pour tu sois mise au courant avant qu’il ne soit trop tard.

— Au courant de quoi ? Qui arrive, Amma ?

Cette dernière a tiré de son chemisier une petite bourse accrochée à un cordon passé autour de son cou. La serrant entre ses doigts, elle a baissé la voix, comme si elle craignait d’être surprise.

— Sarafine. La Ténébreuse.

— Qui est-ce ?

Amma a serré la bourse encore plus fort, hésitante.

— Ta maman.

— Pardon ? Mes parents sont morts quand j’étais petite. Et ma mère s’appelait Sara. C’est marqué sur notre arbre généalogique.

— Ton papa est mort, c’est vrai. Mais ta maman est aussi en vie que moi à l’heure où je te cause. Quant aux arbres généalogiques du Sud, ils ne sont jamais aussi exacts qu’ils affirment l’être.

Lena a blêmi. J’ai tenté de tendre le bras pour attraper sa main. Seul un de mes doigts a tremblé. J’étais réduit à l’impuissance. J’étais contraint d’observer la scène, tandis que Lena dégringolait dans un puits sombre sans personne pour la retenir. Comme dans les rêves.

— Et elle est vouée aux Ténèbres ? a-t-elle chuchoté.

— Elle est l’Enchanteresse la plus Ténébreuse qui soit actuellement.

— Pourquoi mon oncle ne m’en a-t-il rien dit ? Ou Bonne-maman ? Ils ont soutenu qu’elle était morte. Pourquoi m’ont-ils menti ?

— Il y a vérité et vérité. C’est rarement la même chose, au passage. J’imagine qu’ils essayaient de te protéger. Ils continuent de croire qu’ils le peuvent. Les Grands en sont beaucoup moins certains. Je ne voulais pas te le révéler, mais Melchizedek est têtu comme un âne.

— Pourquoi m’aidez-vous ? Je croyais… je croyais que vous ne m’aimiez pas ?

— Que je t’aime ou pas n’a rien à voir là-dedans. Elle se rapproche pour te prendre, et tu as intérêt à rester concentrée. De plus, je ne veux pas qu’il arrive quoi que ce soit à mon garçon. Tout ça est bien trop gros pour toi. Bien trop gros pour vous deux.

— Qu’est-ce qui est trop gros pour nous ?

— Tout. Toi et Ethan n’êtes pas destinés à être ensemble, un point c’est tout.

Amma s’exprimait par énigmes, et Lena était de plus en plus paumée.

— Comment ça ?

Amma s’est soudain retournée, comme si quelqu’un venait de lui taper sur l’épaule.

— Qu’est-ce que tu dis, tante Delilah ? D’accord. Il ne nous reste plus beaucoup de temps.

Cette dernière phrase était destinée à Lena.

Presque imperceptiblement, le balancier de l’horloge a recommencé à bouger, et mon père à cligner des paupières, si lentement qu’on distinguait très bien ses cils effleurer ses joues.

— Je t’ordonne de remettre ce bracelet. Tu as besoin de toute l’aide possible.

Sur ce, le temps a repris son cours…

J’ai, à mon tour, papilloté des yeux tout en observant la pièce. Mon père fixait ses patates. Tante Charity enveloppait un petit pain dans sa serviette. J’ai soulevé mes mains, agité mes doigts.

— Qu’est-ce que c’était que ça, merde ? ai-je râlé.

— Ethan Wate ! s’est offusquée tante Grace.

Amma, qui était occupée à poser une tranche de jambon sur son pain, m’a jeté un coup d’œil dérouté. Il était clair qu’elle n’avait pas songé un instant que je saisirais sa petite discussion entre filles. Elle m’a fusillé de son fameux regard. Celui qui conseillait à Ethan Wate de la boucler.

— Je t’interdis d’utiliser pareil langage à ma table, m’a-t-elle réprimandé. Tu n’es pas assez vieux pour que je ne te lave pas la bouche au savon. Qu’est-ce que tu crois que c’est ? Du jambon et du pain. De la dinde farcie. Je me suis esquintée à cuisiner toute la journée, alors tais-toi et mange !

Je me suis tourné vers Lena. Son sourire s’était effacé. Elle toisait son assiette.

Lena Banana. Reviens à moi. Je te défendrai. Tout ira bien.

Malheureusement, elle s’était exilée.

 

Elle n’a pas prononcé un seul mot sur le chemin du retour. Une fois à Ravenwood, elle a ouvert la portière brutalement et l’a claquée derrière elle avant de filer vers la maison sans me décocher une parole.

J’ai failli ne pas la suivre. J’avais le vertige. Je n’osais imaginer ce qu’elle éprouvait. Il était déjà assez dur comme ça de perdre sa mère, j’étais bien placé pour le savoir, mais apprendre que cette mère souhaitait votre mort… Moi, j’avais perdu ma mère mais je n’étais pas perdu. Avant de disparaître, elle m’avait ancré à Amma, à mon père, à Link, à Gatlin. Je sentais sa présence dans les rues, chez moi, à la bibliothèque et même dans le garde-manger. Lena n’avait pas eu droit à cela. Comme aurait dit Amma, elle dérivait sans attaches, pareille à un bac du pauvre dans le marais.

Je désirais être son anneau d’amarrage. Sauf que, là, tout de suite, je ne crois pas que quiconque aurait été en mesure de jouer ce rôle.

 

Lena est passée sans s’arrêter devant Boo, qui était assis sur le porche. Il ne haletait même pas, alors qu’il avait couru derrière la voiture durant tout le chemin. Il avait monté la garde sur ma pelouse pendant le dîner et avait paru apprécier les patates douces à la guimauve que je lui avais lancées depuis la porte, quand Amma avait eu le dos tourné.

Les hurlements de Lena me sont parvenus depuis l’intérieur de la vaste demeure. En soupirant, je suis descendu de la Volvo et je me suis posé sur les marches du perron, près du chien. J’avais mal au crâne, à croire que j’étais en manque de sucre.

— Oncle Macon ! Oncle Macon ! Lève-toi ! Il n’y a plus de soleil. Je sais que tu ne dors pas !

Les cris ont résonné dans ma tête.

Il n’y a plus de soleil. Je sais que tu ne dors pas !

J’attendais le jour où Lena se jetterait à l’eau et m’avouerait la vérité sur Macon, de la même façon qu’elle me l’avait révélée à son propre sujet. Quoi qu’il soit, Macon Ravenwood avait l’air de ne pas être un Enchanteur ordinaire, pour peu que pareille créature existe. Qu’il dorme toute la journée et se montre ou disparaisse quand bon lui semblait… il ne fallait pas être grand clerc pour deviner où cela menait. N’empêche, je ne crois pas que j’étais prêt à encaisser ça ce soir-là.

Boo m’a toisé. Quand j’ai voulu le caresser, il s’est détourné, l’air de me signifier que ce n’était pas la peine d’en rajouter. Merci de ne pas me toucher, jeune homme. Des objets ont commencé à se briser dans la maison. D’un commun accord, Boo et moi nous sommes levés et avons tracé la source du fracas. Lena tambourinait à une porte de l’étage.

La maison avait retrouvé l’état dans lequel je soupçonnais fort Macon de la préférer, celui de beautés fanées datant d’avant la guerre de Sécession. En secret, j’ai été soulagé de ne pas être dans le château de Halloween. J’aurais aimé pouvoir arrêter le temps et remonter trois heures en arrière. Pour être franc, j’aurais été aux anges si Ravenwood Manor s’était transformé en caravane, et que nous avions été assis devant des restes de dinde, à l’instar de tout Gatlin en cet instant.

— Ma mère ?! s’égosillait Lena. Ma propre mère ?!

Le battant s’est ouvert à la volée, et Macon est apparu dans l’encadrement, sale et ébouriffé. Il portait une sorte de pyjama froissé qui, je suis au regret de le dire, s’est révélé être une chemise de nuit. Ses yeux étaient plus rouges que d’ordinaire, et sa peau plus pâle. Un camion lui aurait roulé dessus qu’il n’aurait pas eu plus mauvaise mine. En un sens, il ne se différenciait pas tant que cela de mon père – une épave. Plus élégante, peut-être. Sauf pour la chemise de nuit. Mon père aurait préféré se pendre plutôt qu’en enfiler une.

— Ma mère est Sarafine ? La créature qui a essayé de me tuer la nuit de Halloween ? Comment as-tu osé me cacher ça ?

Macon a secoué la tête et passé une main agacée dans ses cheveux.

— Amarie ! a-t-il soupiré.

J’aurais donné n’importe quoi pour assister à une bataille rangée entre ces deux-là. J’aurais parié sur la victoire d’Amma, bien sûr.

Macon a avancé en prenant soin de refermer la porte derrière lui. J’ai juste eu le temps d’entrapercevoir sa chambre à coucher. Un décor tout droit sorti du Fantôme de l’Opéra, avec des chandeliers en fer forgé plus hauts que moi et un lit à baldaquin sombre orné de draperies en velours gris et noir. Le même tissu – qui devait avoisiner le siècle – dissimulait les fenêtres déjà obturées par des volets à claire-voie. Même les murs en étaient tendus. L’effet était réfrigérant.

Les ténèbres, les vraies, allaient largement au-delà de la simple absence de lumière.

Au moment où il mettait le pied dans le couloir, Macon est apparu habillé de pied en cap, sans un cheveu qui dépassait, sans un pli sur son pantalon ou sa chemise amidonnée blanche. Même ses chaussures en daim étaient immaculées. Rien à voir avec l’allure qu’il avait : eue une seconde auparavant ; alors qu’il s’était simplement borné à franchir un seuil.

J’ai regardé Lena. Elle ne prêtait aucune attention à ce tour de magie. J’ai frissonné en songeant combien sa vie et la mienne devaient être différentes.

— Ma mère est-elle vivante ?

— Je crains que ce ne soit un peu plus complexe que ça.

— En dehors du fait que ma propre génitrice cherche à me tuer, tu veux dire ? Quand comptais-tu m’avertir, oncle Macon ? Une fois que j’aurais été Appelée ?

— S’il te plaît, ne remets pas ça sur le tapis. Tu ne seras pas vouée aux Ténèbres.

— Je ne comprends pas que tu puisses y croire, puisque je suis la fille de, ouvrez les guillemets : « l’Enchanteresse la plus Ténébreuse qui soit actuellement », fermez les guillemets.

— J’admets que tu sois bouleversée. C’est une nouvelle dérangeante, et je reconnais que j’aurais mieux fait de t’en parler en personne. Mais je te jure que j’essayais de te protéger.

Lena était au-delà de la simple colère, à présent.

— Me protéger ! a-t-elle rugi. Tu m’as soutenu que l’événement de Halloween n’était qu’une attaque hasardeuse, alors qu’il s’agissait de ma mère. Ma mère est en vie, elle veut m’assassiner et toi, tu estimes qu’il vaut mieux que je n’en sache rien ?

— Nous ne sommes pas sûrs qu’elle cherche à te liquider.

Les tableaux se sont mis à cogner contre les murs. Les lampes des appliques ont grillé les une après les autres. Le bruit de la pluie qui s’abattait sur le toit a résonné.

— Tu ne trouves pas que nous avons eu assez de mauvais temps comme ça, ces dernières semaines ? a plaidé Macon.

— Que m’as-tu caché d’autre ? Quels sont les mensonges dont je devrais être avertie ? Mon père vit-il aussi ?

— J’ai bien peur que non.

Macon s’était exprimé sur un ton qui laissait présumer un drame, un accident trop affreux pour qu’on l’évoque. Le même que celui qu’empruntaient les gens quand ils mentionnaient ma défunte mère.

— J’exige que tu m’aides ! a piaillé Lena, dont la voix s’est brisée.

— Je mettrai en œuvre tout ce qui est en mon pouvoir pour ça, Lena. Comme toujours.

— Faux ! Tu ne m’as pas expliqué quels étaient mes pouvoirs. Tu ne m’as pas appris à me défendre toute seule.

— J’ignore l’étendue de tes talents. Tu es une Élue. En cas de besoin, tu agis. À ta manière, en ton temps.

— Je n’ai pas de temps. Je te rappelle que ma mère veut ma peau.

— Et je te répète que nous n’en savons rien.

— Et ce qui s’est produit à Halloween, alors ?

— Des tas de possibilités sont envisageables. Del et moi travaillons dessus.

Macon s’est retourné, comme s’il s’apprêtait à regagner sa chambre.

— Calme-toi, a-t-il ajouté. Nous reparlerons de tout cela plus tard.

Lena a fixé un vase posé sur une crédence, à l’autre bout du couloir. Comme tiré par une ficelle, l’objet a suivi le parcours de ses yeux et s’est écrasé contre le mur, juste à côté de la chambre de Macon. Suffisamment loin de ce dernier pour ne pas le blesser, mais assez près pour exprimer une objection. Rien d’accidentel là-dedans. Il ne s’agissait pas d’un de ces moments où Lena perdait le contrôle des choses, lesquelles arrivaient, tout simplement. Elle avait fait ça exprès.

Macon a virevolté si lestement que je ne l’ai pas vu faire : en une fraction de seconde, il était devant sa nièce. Apparemment aussi choqué que moi. Et ayant compris la situation, comme moi. Quant à l’expression de Lena, elle trahissait une surprise égale à la nôtre, tant à cause de son geste qu’à cause de la réaction de Macon. Celui-ci avait l’air offensé, dans les limites où il pouvait l’être, s’entend.

— Comme je te l’ai dit, a-t-il murmuré, en cas de besoin, tu agis.

Puis il s’est adressé à moi.

— Je pense que le péril va augmenter dans les semaines à venir. Les choses ont changé. Ne la laissez pas seule. Ici, je suis en mesure de la protéger. Mais ma mère avait raison, il semble que vous en soyez également capable. Mieux que moi, peut-être.

— Hé ! a braillé Lena. Je suis ici ! Ne parle pas de moi comme si je n’étais pas là.

Elle s’était remise de son étonnement. J’ai deviné que, par la suite, elle se ferait des reproches mais, pour l’heure, la colère l’emportait. Une ampoule a explosé dans le dos de Macon, qui n’a pas bronché.

— Non, mais tu t’entends ? a-t-elle poursuivi. Il faut que je sache. C’est moi que l’on traque ! C’est moi qu’elle veut. Or, j’ignore pourquoi.

Ils se sont défiés du regard, un Ravenwood et une Duchannes, deux branches de la même lignée d’Enchanteurs. J’ai eu l’impression qu’il était temps que je file. Macon m’a jeté un coup d’œil qui m’a conforté dans ma résolution. Lena m’a jeté un coup d’œil qui m’a fait hésiter. Elle m’a attrapé par la main, et une chaleur brûlante m’a irradié. Elle était un incendie, en proie à une fureur dans laquelle je ne l’avais jamais vue. J’étais même ahuri qu’aucune fenêtre de la maison n’ait encore volé en éclats.

— Tu connais ses raisons, n’est-ce pas ? a-t-elle lancé à son oncle.

— C’est…

— Complexe, hein ? l’a-t-elle interrompu.

Ils se sont toisés. Les cheveux de Lena se recroquevillaient. Macon jouait avec sa bague en argent. Boo a reculé en rampant. Pas sot, ce chien. J’aurais volontiers déguerpi moi aussi, sur le ventre si nécessaire. La dernière lampe a sauté, et nous avons été plongés dans l’obscurité.

— Tu dois me dire tout ce que tu sais sur mes pouvoirs.

Macon a poussé un soupir, les ombres ont commencé à s’éclaircir.

— Comprends-moi bien, Lena, ce n’est pas que je refuse d’aborder le sujet. Après la petite démonstration dont tu viens de nous régaler, il est évident que je ne sais même pas ce que tu es en mesure d’accomplir. Personne ne le soupçonne. Pas même toi, à mon avis. Il en va ainsi, avec les Élus. Cela constitue une partie de leur don.

Lena s’est détendue. La bagarre était terminée, et elle l’avait remportée. La première manche, du moins.

— Que vais-je faire, alors ? s’est-elle enquise.

Macon arborait la même expression de détresse que celle de mon père, le jour où, alors que j’étais au CM2, il était entré dans ma chambre pour me dévoiler les secrets des fleurs et des abeilles.

— L’apprentissage de ses pouvoirs est une période très perturbante. Il y a peut-être un livre qui traite de ce sujet. Si tu veux, nous demanderons à Marian.

Ben tiens ! Choix et changements : guide de la fille moderne pour devenir Enchanteresse. Ma mère veut me tuer : ouvrage d’autodéfense à l’usage des adolescents.

Les quelques semaines à venir promettaient d’être longues.

16 Lunes
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